lundi 7 février 2011

L'existence d'un "prolétariat bourgeois" est selon Engels le principal frein à la révolution anticapitaliste.. Un texte du 28/12/2008 par Julie Amadis

par Julie Amadis
28 décembre 2008
17:15

L'existence d'un "prolétariat bourgeois" est selon Engels le principal frein à la révolution anticapitaliste.
Engels observe la formoisie en germe sans comprendre qu'il s'agit d'une classe sociale :
"En réalité, le prolétariat anglais s'embourgeoise de plus en plus, écrit Engels à Marx en octobre 1858 et il semble bien que cette nation, bourgeoise entre toutes, veuille en arriver à avoir, à coté de sa bourgeoisie, une aristocratie bourgeoise, et un prolétariat bourgeois. Évidemment, de la part d'une nation qui exploite l'univers entier, c'est jusqu'à un certain point logique". (Friedrich Engels, Lettre à Marx, 7 octobre 1858 *HW p. 207)

Le prolétariat bourgeois d'Engels correspond au concept de classe formoise. Ce "prolétariat bourgeois" est minoritaire :
"Mais en ce qui concerne la grande masse des travailleurs, poursuit Engels, leur degré de misère et d'insécurité est tout aussi bas aujourd'hui, sinon pire, que jamais"(F. Engels Situation des classes laborieuses en Grande-Bretagne p. 395 HW
p.211)
Ce "prolétariat bourgeois" de Engels inclut :
les ouvriers des grandes trade-unions qui
« … sont les organisations des secteurs industriels où ni la concurrence du travail des femmes ou des enfants ni celle des machines n'ont été jusqu'à présent en mesure de briser leur puissance organisée... Leur situation s'est, sans aucun doute, remarquablement améliorée depuis 1848. La meilleure preuve en est que depuis quinze ans, ce ne sont pas seulement leurs employeurs qui sont satisfaits d'eux, mais eux même qui sont également très contents de leurs employeurs. Ils constituent une aristocratie au sein de la classe ouvrière. Ils sont parvenus à conquérir une situation relativement confortable et, cette situation, ils l'acceptent comme définitive.(...)
Ils sont très gentils et nullement intraitables pour un capitaliste raisonnable en particulier et pour la classe capitaliste en général". (
Engels, Situation des classes laborieuses en Grande-Bretagne, édition sociale, 1961, pp 386-400 HW p. 210)
Il faut y ajouter les intellectuels que décrit Lénine :
"Nul n'osera nier, que ce qui caractérise, d'une façon générale, les intellectuels en tant que couche sociale particulière, dans les sociétés capitalistes contemporaines, c'est justement l'individualisme, et l'inaptitude à la discipline et à l'organisation. C'est ce qui, entre autres, distingue désavantageusement cette couche sociale d'avec le prolétariat. C'est aussi ce qui explique la veulerie et l'instabilité de la gent intellectuelle, dont le prolétariat a si souvent à se ressentir. Et cette particularité des intellectuels est intimement liée aux conditions ordinaires de leur vie, à leurs conditions de gain, qui se rapprochent sous bien des rapports des conditions d'existence de la petite-bourgeoisie"(Lénine : Œuvres choisies T I, éd. De Moscou p. 377 HW p. 216 les soulignés étaient de Lénine)

Ce prolétariat bourgeois n'est autre que la formoisie, une classe exploiteuse du "formariat" formé des travailleurs non qualifiés. Ces formois ont un niveau de vie supérieur à celui des autres ouvriers. Ces ouvriers sont plus rares sur le marché du travail, ce qui leur donne une valeur plus importante.
Comme l'écrivait Henri Weber (jeune)
"cette "rareté" relative de cette force de travail, liée à son aptitude à l'organisation, lui confère une puissance sociale qu'elle fait chèrement payer au patronat." (Marxisme et conscience de classe p. 211 1975 éd. 10-18)
Ils peuvent donc monnayer leur salaire. De ce fait, ils aspirent de la plus value aux ouvriers non qualifiés - ce que ne vit pas Henri Weber-. De la même manière, Marx a expliqué que le patron d'une entreprise performante aspirait de la plus value au patron d'une entreprise moins productive.
Pour Engels, l'apparition de ce "prolétariat bourgeois" provient d'une stratégie de la bourgeoisie.
"De l'expérience chartiste, la bourgeoisie industrielle a tiré la conviction qu'elle ne parviendrait jamais à dominer politiquement et socialement la nation, autrement qu'avec l'aide de la classe ouvrière" (Engels, Situation des classes laborieuses en Grande-Bretagne, préface de 1892, p. 393 HW p.209).
Comme Stolypine ministre du Tsar avait - peu après la tentative révolutionnaire de 1905 -, cherché à créer un groupe de petits propriétaires chez les paysans afin de freiner la poussée révolutionnaire en Russie; la bourgeoisie du XIX ème siècle avait fait le choix de créer "une aristocratie ouvrière".
La bourgeoisie a acheté le calme social en accordant des avantages salariaux à la formoisie.
Engels ne devine pas que ce nouveau groupe va grossir et consolider ses intérêts. Le mouvement ouvrier d'Europe de l'Ouest ne cessera tout au long du XXème siècle de trahir le formariat (travailleurs non qualifiés, exploitées à la fois par la bourgeoisie et par la formoisie). D'abord, les travailleurs formois fermeront les yeux sur l'ignominie de la colonisation et parfois soutiendront la bourgeoisie sur ce point. Quand arrive la première guerre mondiale, les syndicats se laisseront acheter par la bourgeoisie et inciteront les ouvriers à partir à la guerre... En 2008, aucun syndicat n'a pour objectif (même affiché) de combattre le capitalisme, encore moins le colonialisme (même pas de dénoncer les massacres de notre armée en Afrique), la SDFication de notre société, le couvercle carbone.
Engels croit naïvement que l'apparition de ce groupe privilégié du prolétariat va disparaître :
"Avec l'effondrement de ce monopole, la classe ouvrière anglaise perdra cette position privilégiée. Elle se verra alignée un jour-y compris la minorité dirigeante et privilégiée- au niveau des ouvriers de l'étranger. Et c'est la raison pour laquelle le socialisme renaîtra en Angleterre." Engels, Situation des classes laborieuses en Grande-Bretagne p 397 HW p. 212)
Pour Engels, la cause du conservatisme ouvrier en Angleterre provient de l'augmentation du niveau de vie des ouvriers anglais.
Comme Engels nous pensons que l'existence de cette classe sociale , la formoisie (qu'il nomme bourgeoisie ouvrière) est le frein principale à la révolution et donc la meilleur garantie de la bourgeoisie pour faire perdurer le capitalisme.
Nous laisserons, en conclusion, la parole à Henri Weber (jeune - avant qu'il ne devienne sénateur socialiste). Sans comprendre le concept de formoisie, il écrivait, en contredisant l'espoir de Engels - "le socialisme renaîtra en Angleterre":
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"L'histoire du XXème siècle a largement infirmé ce pronostic optimiste. Le monopole industriel de la Grande-Bretagne a pris fin, de même que son hégémonie coloniale. L'impérialisme britannique est entré dans une période de long déclin.
Dès la fin du XIX ème siècle, les "couches inférieures du prolétariat", la masse des non-qualifiés, font irruption comme force autonome dans le champ politique.
Leur mouvement bouleverse la structure traditionnelle du syndicalisme, assurant
la prédominance des syndicats d'industrie sur les vieux syndicats de métiers.
Après la Première Guerre mondiale les privilèges de "l'aristocratie ouvrière"
sont battus en brèche.
Mais, si la perte du "monopole industriel" provoque bien une radicalisation et une restructuration réelle du mouvement ouvrier anglais, cette radicalisation ne dépasse pas les limites du trade-unionisme.
Elle engendre le parti travailliste et les sectes socialistes. Elle ne donne pas naissance à un mouvement ouvrier révolutionnaire, même dans la période d'entre les deux guerres mondiales, au plus fort de la crise économique.
L'infirmation du pronostic d'Engels souligne la fragilité de toute son "explication". Celle-ci accorde une importance décisive aux déterminations purement économiques, en négligeant l'efficience propre aux autres niveaux. Nous y reviendrons."

(Henri Weber Marxisme et conscience de classe p. 213 1975 éd. 10-18)
Là, c'est Henri Weber qui a tort : c'est lui qui n'a pas vu l'existence de la classe formoise. C'est uniquement la défaite de la haute et de la couche supérieure de la moyenne formoisie qu'il décrit. Pas la défaite de la formoisie en tant que classe : ce n'est pas le salaire unique qui a été instauré.

NOTES

*les citations de Friedrich Engels proviennent du livre de Henri Weber.
On trouve la citation de Engels dans un texte de Lénine : L'impérialisme, stade suprême du capitalisme : VIII. LE PARASITISME ET LA PUTREFACTION DU CAPITALISME

NB : Ce texte a été réédité le 21/03/2009 : le mot "prolétariat bourgeois" qui figure dans le texte original a été substitué dans le titre au mot "bourgeoisie prolétarienne" pour ne pas laisser supposer que cette expression de "bourgeoisie prolétarienne" aurait figuré dans le texte de F. Engels. Les guillemets qui signifiait "bourgeoisie entre guillemets" prêtaient à confusion en donnant à croire qu'elles auraient été des guillemets de citation.
Dans tous les cas, on peut constater que Engels se rapprochait du concept de "formoisie" et c'est cela qui importe !

NB 7/2/2011 La citation de Lénine et la fin de son texte :

1916

L'ouvrage fondamental du marxisme analysant le mode de production capitaliste à l'époque impérialiste, celle "des guerres et des révolutions".


L'impérialisme, stade suprême du capitalisme

LENINE

VIII. LE PARASITISME ET LA PUTREFACTION DU CAPITALISME

extrait

A noter qu'en Angleterre, la tendance de l'impérialisme à diviser les ouvriers, à renforcer parmi eux l'opportunisme, à provoquer la décomposition momentanée du mouvement ouvrier, est apparue bien avant la fin du XIXe siècle et le début du XXe. Car deux traits distinctifs essentiels de l'impérialisme, la possession de vastes colonies et le monopole du marché mondial, s'y sont manifestés dès la seconde moitié du XIXe siècle. Marx et Engels ont méthodiquement, pendant des dizaines d'années, observé de près cette liaison de l'opportunisme dans le mouvement ouvrier avec les particularités impérialistes du capitalisme anglais. Ainsi, Engels écrivait à Marx le 7 octobre 1858 : "En réalité, le prolétariat anglais s'embourgeoise de plus en plus, et il semble bien que cette nation, bourgeoise entre toutes, veuille en arriver à avoir, à côté de sa bourgeoisie, une aristocratie bourgeoise et un prolétariat bourgeois. Evidemment, de la part d'une nation qui exploite l'univers entier c'est jusqu'à un certain point, logique." Près d'un quart de siècle plus tard, dans une lettre du 11 août 1881, il parle des "pires trade-unions anglaises qui se laissent diriger par des hommes que la bourgeoisie a achetés ou que, tout au moins, elle entretient". Dans une lettre à Kautsky (12 septembre 1882), Engels écrivait : "Vous me demandez ce que pensent les ouvriers anglais de la politique coloniale. La même chose que ce qu'ils pensent de la politique en général. Ici, point de parti ouvrier, il n'y a que des radicaux conservateurs et libéraux; quant aux ouvriers, ils jouissent en toute tranquillité avec eux du monopole colonial de l'Angleterre et de son monopole sur le marché mondial [13]." (Engels a exposé la même thèse dans sa préface à la deuxième édition de La situation des classes laborieuses en Angleterre, 1892).

Voilà donc, nettement indiquées, les causes et les conséquences. Les causes : 1) l'exploitation du monde par l'Angleterre; 2) son monopole sur le marché mondial; 3) son monopole colonial. Les conséquences : 1) l'embourgeoisement d'une partie du prolétariat anglais; 2) une partie de ce prolétariat se laisse diriger par des hommes que la bourgeoisie a achetés ou que, tout au moins, elle entretient. L'impérialisme du début du XXe siècle a achevé le partage du globe entre une poignée d'Etats, dont chacun exploite aujourd'hui (en ce sens qu'il en retire du surprofit) une partie du "monde entier" à peine moindre que celle qu'exploitait l'Angleterre en 1858; dont chacun, grâce aux trusts, aux cartels, au capital financier, à ses rapports de créditeur à débiteur, occupe une situation de monopole sur le marché mondial; dont chacun jouit, dans une certaine mesure, d'un monopole colonial (nous avons vu que, sur 75 millions de kilomètres carrés, superficie de toutes les colonies du monde, 65 millions, c'est-à-dire 86%, sont concentrés aux mains de six grandes puissances; 61 millions de kilomètres carrés, soit 81%, sont détenus par trois puissances.)

Ce qui distingue la situation actuelle, c'est l'existence de conditions économiques et politiques qui ne pouvaient manquer de rendre l'opportunisme encore plus incompatible avec les intérêts généraux et vitaux du mouvement ouvrier : d'embryon, l'impérialisme est devenu le système prédominant; les monopoles capitalistes ont pris la première place dans l'économie et la politique; le partage du monde a été mené à son terme; d'autre part, au lieu du monopole sans partage de l'Angleterre, nous assistons maintenant à la lutte d'un petit nombre de puissances impérialistes pour la participation au monopole, lutte qui caractérise tout le début du XXe siècle. L'opportunisme ne peut plus triompher aujourd'hui complètement au sein du mouvement ouvrier d'un seul pays pour des dizaines et des dizaines d'années, comme il l'a fait en Angleterre dans la seconde moitié du XIXe siècle. Mais, dans toute une série de pays, il a atteint sa pleine maturité, il l'a dépassée et s'est décomposé en fusionnant complètement, sous la forme du social-chauvinisme, avec la politique bourgeoise [14].





Lire aussi

La formoisie : Engels s'est approché de sa conceptualisation. Un texte du 13/9/2008 par Julie Amadis

par Julie Amadis
13/9/2008

La formoisie (bourgeoisie de la formation) est une classe sociale exploiteuse. La personne détentrice d'un diplôme a une productivité supérieure à celle qui n'a pas reçu de formation.

Marx a montré que lorsqu'une entreprise est plus performante que sa concurrente, le patron de l'entreprise performante prend une partie de la plus value des ouvriers de l'entreprise d'à côté . Le patron de l'entreprise la moins performante perd ainsi une partie de la plus value de ses ouvriers.

De la même façon, le diplômé plus productif que son collègue non formé va aspirer sa plus-value. La plus-value qui selon Marx est récupérée entièrement par le détenteur du capital machine revient en partie à l'employé diplômé.

La formoisie exploite donc le formariat (les non formés).

De l'analyse de cette classe sociale dépend la compréhension des révolutions trahies tout au long du XXème siècle, le colonialisme continu des pays du Nord envers les pays en voie de développement...

Nous allons ici nous intéresser à ce qu'avait compris Engels de cette classe sociale.

Engels remarque qu'une partie des ouvriers anglais a un niveau de vie supérieur aux autres. Il essaie donc d'en comprendre les raisons.

Pour Engels, si une fraction des ouvriers anglais a un niveau de vie supérieur à leurs homologues dans des
"secteurs industriels où le travail d'hommes adultes est seul utilisable ou dominant"
; c'est parce que
"elle bénéficie de ce que son travail qualifié n'est pas concurrençable par la main d'ouvre féminine, infantile, etc."

Il observe 2 choses :

- un, que la main d'œuvre est concurrençable. Donc, que la loi de l'offre et de la demande qu'on applique aux biens et aux services est aussi vraie concernant les employés.

- deux, que le travail qualifié est l'élément qui met en concurrence les ouvriers entre eux. Il a donc compris que la cause explicative du surplus de revenus de certains ouvriers réside dans leur qualification supérieure.

Engels comprend les mécanismes amenant cette partie la plus qualifiée du prolétariat à se désolidariser de leurs confrères sans pour autant identifier que ceux ci constituent une classe sociale.

Grâce aux informations que nous donne Engels, on comprend que, au moment où la bourgeoisie industrielle prend le pouvoir, la formoisie se développe, et ce au détriment du formariat. Il écrit : "dans deux secteurs "protégés" de la classe ouvrière, on relève une amélioration durable et notable du niveau de vie : il s'agit en premier lieu des ouvriers d'usine".

Henri Weber (auteur de Marxisme et conscience de classe ex militant LCR devenu sénateur PS) recadre cette phrase dans le contexte de l'époque :
"leur situation est, à n'en point douter, meilleure qu'avant 1848".
Mais poursuit Engels :
"en ce que concerne la grande masse des travailleurs, leur degré de misère et d'insécurité est tout aussi bas aujourd'hui, sinon pire que jamais".
Si Engels a compris qu'une des raisons du différentiel du salaire entre les ouvriers de cette industrie et les autres réside dans la différence de qualification; il considère néanmoins que la situation de monopole dans laquelle se trouve l'industrie anglaise est la cause principale; les ouvriers anglais en récupérant les bénéfices.
"la vérité, la voici, conclut Engels : tant que le monopole industriel anglais a subsisté, la classe ouvrière anglaise a participé jusqu'à un certain point aux avantages de ce monopole."
Dans le cas du monopole de l'industrie anglaise, on est dans la configuration du schéma marxiste de l'entreprise performante qui aspire la plus value des ouvriers de l'entreprise concurrente moins performante.

Mais ce que Marx n'avait pas vu, c'est que dans cette même configuration, les ouvriers de l'entreprise performante sont souvent plus qualifiés et donc ils récupèrent eux aussi une part de la plus value des ouvriers des entreprises concurrentes.

Il ajoute que si tous les ouvriers de l'industrie anglaise étaient mieux payés, ils existaient néanmoins des différences au sein même de l'entreprise :
"nos avantages furent très inégalement répartis entre ses membres; la minorité privilégiée en encaisse la plus grande part, mais même la grande masse en recevait sa part, du moins de temps à autre et pour une certaine période".
Il est certain que si Engels avait compris que les différences de salaires engendrées par les différences de qualifications allaient solidifier une nouvelle classe sociale, il aurait combattu les différences de salaires et aurait été de fait égalitariste, comme nous le sommes aujourd'hui, et il se serait battu comme nous le faisons aujourd'hui pour un salaire égal pour tous.


Un Staline et les crimes qui furent ceux des protecteurs de la formoisie russe n'auraient peut-être pas eu voix au chapitre.


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Toutes les citations sont extraites de Marxisme et conscience de classe de Henri Weber. Éditions 10-18 1973.

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